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opuscoeur

“Israël Horovitz est à la fois réaliste et sentimental. Je vous laisse donc imaginer à quel point il peut être féroce.” Cette citation d’Eugène Ionesco résume Opus Coeur. Dans cette pièce, Horovitz nous raconte l’histoire d’une rencontre.

Jakob Brackish est un professeur d’université passionné de musicologie et d’Anglais à la retraite. Condamné par une maladie du coeur, il embauche Kathleen Ogan (KO : tout un programme…), une ancienne élève. Elle devient son employée de maison. Deux coeurs solitaires, dans la froideur de l’hiver, vont se découvrir, se heurter, puis s’aimer…

Un huis-clos anxiogène

L’auteur nous présente deux êtres que tout oppose. Et ce huis-clos devient très vite anxiogène. Enfermés ensemble dans l’appartement du professeur  Brackish, la relation, d’abord cordiale, se tend rapidement pour laisser place à la rancoeur. Les deux protagonistes se dévoilent progressivement. Ils tentent en vain de cacher un passé douloureux qui ne cesse de ressurgir au cours de la pièce.

Le décor participe !

La mise en scène favorise les dialogues courts et incisifs d’Horowitz entrecoupés de silences lourds de sens, dans un intérieur des années 50, un décor qui fourmillent de petits détails. Chaque chose semble à sa place dans ce microcosme si bien organisé, où tiennent tous les souvenirs de la vie de Brackish, vieux mélomane collé à son poste de radio dont l’animateur ponctue avec humour l’ensemble de l’oeuvre.

Une rencontre tout en contrastes

Face à l’immobilité de Brakisch, cloué sur son fauteuil, Kathleen est en mouvement perpétuel. Elle en devient maladroite dans toutes ses actions. Démarre alors un jeu de dupes sur fond de secrets et de révélations à demi-mots. L’occasion de casser cette insupportable routine.

Dans la tradition du théâtre réaliste, Horovitz dresse un portrait des personnages surpris dans leur quotidien : lecture du journal pour l’un, préparation de la soupe ou repassage pour l’autre. Economie de parole pour toucher à l’essentiel, la méthode Horovitz fait son effet. Elle nous installe dans un faux rythme jusqu’au choc salvateur. Entre réalité et faux semblants, l’affrontement couve. Le rusé Brakisch porte un sonotone factice pour mieux tromper son employée de maison. Kathleen est, elle, une quadragénaire meurtrie qui vit dans le souvenir de son mari décédé. Au début, elle semble si désincarnée que le spectateur peine à déceler ses réelles intentions qui ne se révéleront pas forcément bienveillantes.

Une oeuvre communicative et pleine d’humanité

Horovitz nous parle de l’incommunicabilité entre les hommes, en frôlant le théâtre de l’absurde. Dans Opus Coeur, les personnages parlent sans réellement parvenir à communiquer jusqu’à ce que les masques (et le sonotone) tombent. De même, ils entendent plus qu’ils n’écoutent. Ce qui intéresse l’auteur, plus que l’aspect social de l’oeuvre, c’est sa dimension humaine et universelle. Avec une mordante ironie, chacun oblige l’autre à regarder son malheur en face, passage obligé pour sortir d’une certaine torpeur. Après les cris et les révélations vient le temps du pardon. Ensemble, unis par un même amour pour la musique, ils apprennent à se connaître et à se respecter.

Cette transmission d’un vrai amour de la musique transforme Kathleen. Enfin reconnue pour ce qu’elle est, elle peut enfin reprendre confiance en elle et devenir actrice de sa propre existence. Pour le vieil homme, qui est passé à côté de sa vie sans en comprendre l’essentiel, le seul fait de la voir épanouie suffit à son bonheur, comme si toute sa vie prenait enfin un sens.

Jean-Claude Bouillon et Nathalie Newman, sincères et talentueux, offrent à ces personnages troubles en quête d’amour une grande profondeur. Les deux acteurs laissent éclater sur scène toute la puissance de leur humanité.

Pour aller plus loin :

http://www.youtube.com/watch?v=a0Fvnrd1VGw